L’angoisse de la nuit blanche

Article : L’angoisse de la nuit blanche
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9 juillet 2021

L’angoisse de la nuit blanche

Je m’assieds pour écrire. Ou plutôt, pour tenter d’assembler les mots. Pour mettre en place les innombrables combinaisons possibles entre eux. Je m’y mets avec des mains réticentes. En réalité, je manque de dextérité. J’ai peur de me tromper et j’hésite. De faire des combinaisons injustifiées, incongrues ou déplacées. Les mots se font sensibles, capricieux : je dois les manier avec soin. Je doute d’avoir la douceur appropriée. Je me plante. J’efface. Et je recommence. Différemment. Avec plus de tendresse cette fois. Je les apprivoise peu à peu. Ils se laissent faire et je saisis le rythme qui me convient. Mais j’hésite encore à les marier les uns avec les autres. Je n’ai pas toujours été en faveur du mariage de toute façon. Mais bon, ils y sont destinés.

L’assemblage des mots permet de traduire plus ou moins fidèlement les réalités qui nous entourent. De les saisir au tournant d’une scène, d’un événement de la vie. Ils empêchent l’esprit de s’emprisonner dans son tourment, dans un délire paralysant. Parce qu’ils le libèrent. Ils se donnent. Ils sont en faveur du partage… SHUUUT. Esprit instable. Ce n’est pas le moment de philosopher sur l’importance des mots… Il faut les écrire ! Accoucher.

Je formule des phrases… Des pêcheurs de réalité sur des pages anonymes. Blanches. Vierges. Ordinateur, cahier de notes, livres, dictionnaire électronique à portée de main. Je me mets dans le mood. Mais j’oublie de désactiver les notifications de mon téléphone portable. CLING! Et je l’attrape sans réfléchir. Ne me jugez pas : je culpabilise déjà. Distraction inutile, nuisible. Pollutions sonores. Pollution intellectuelle. Et tout est à recommencer. Retrouver le rythme, la sonorité, la poésie des mots. Je les guette. Mais mon esprit vagabonde. Plus rien ne sort : les mots sont timides à présent. Alors, j’attends. Et ils boudent longtemps parce que j’ai préféré mon téléphone. Je me confonds en excuses. Je prends un livre de Jacques Stephen Alexis. Auteur culte. Écriture riche et recherchée. Je tente une réconciliation. J’implore l’inspiration. Je m’impatiente. Et je m’apitoie sur mon blocage, au bord des larmes.

Je panique presque. Faut à tout prix que ça vienne, que ça sorte enfin. Je vais faire autre chose. J’y retourne. Je me heurte toujours à un mur. Ce mur invisible qui symbolise mon entêtement à garder tout pour moi, à ne pas me livrer. Même pas à une page innocente. Et brusquement, des détonations se font entendre à l’autre bout de la ville. Je prête l’oreille. D’où ça vient exactement ? Je ne saurais le dire. Quelque part, quelqu’un vient de faire son adieu à cette terre meurtrière. Un inconnu pour moi. Mais en réalité un frère, un père, un fils. Fils du terroir ? Peut-être. Ou peut-être pas. Parce qu’une patrie cannibale qui « se venge » peut-elle toujours héberger des fils et des filles dignes de ce nom ? Une âme s’est envolée vers d’autres cieux. Plus cléments sûrement. Un corps est resté à l’abandon dans les rues infâmes. Parce que personne ne se soucie de celui qui s’évertue à prendre une once de vie çà et là. Chaque jour. Que dire d’un corps dont le souffle lassé s’en est échappé?

Une pensée. Une prière. Demain, ce sera pareil : ce sera quelqu’un d’autre. Et on se fait à cette glaçante réalité. On se dit qu’on n’y peut rien. Par complicité ou par lâcheté ? Les deux peut-être. Mais ce n’est pas aussi simple : d’autres facteurs y sont pour beaucoup. Impuissance, mauvais choix, corruptions, inconséquence, ingérences, irresponsabilités, résignation, luttes acharnées pour la survie. Cette survie qui normalement n’aurait pas dû être… Un cocktail toxique dont nous goûtons tous l’amère saveur à présent. La situation n’évolue pas ou de préférence devient de plus en plus chaotique, inquiétante. La peur s’installe confortablement dans les foyers. Elle prend toute la place sans crier gare. Et on marche dans les rues en courant, épiant les signes avant-coureurs d’un chavirement de sa vie en avant et après. Ou en une fin tragique tout court. Point final. La chaleur nous oppresse. Le pays nous donne froid dans le dos.

Je bute toujours sur ma page blanche. Le curseur clignote : il attend impudemment. Angoisses. Je prends un livre pour y échapper: Maupassant. Pour prendre cette bouffée d’air si revitalisant qui esquisse un sourire toujours fragile sur mon visage. Mettre entre cette situation alarmante et moi le gouffre des mots. Pour vivre d’autres aventures, rencontrer d’autres personnages, pleins de légèreté, et oublier, le temps de tourner une page, que je vis ici. Plus tard ce sera l’incontournable smartphone. Pathétique! Complicité et lâcheté.

Ainsi, je vis dans des mondes parallèles. Ceux que j’habite tant bien que mal. Ceux qui m’habitent pour combler un manque, un vide. Partagée. Entre deux et plusieurs, je me fraye un chemin. Mon esprit plane ici et là. Nulle part en fait. Sans domicile fixe. Il prend les inspirations qu’il trouve. Profondément. Espérant que ce (ne) sera (pas) la dernière.

Déborah Pépé

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Commentaires

Raya
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Penses tu que l'écriture est libératrice?

Debb
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Oui, au même titre que d'autres formes d'expression. L'écriture libère une parole qui se voudrait plus sincère et en écrivant on partage nos maux qui ne sont plus seulement les nôtres.

Dallemand
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Oh! Waw! Je l'adore c'est vraiment incroyables.
I also like to read and write.

Debb
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Merci!! Je suis ravie qu'il te plaise.

Tham,Dieudonné,,dit( Doné)
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Congratulations!!your words are magic ,keep working hardly,your pen/pencil biggest than the univers,I appreciate the way you write,""keep fighting your pen""....(ou vo lò ak dyaman ,kenbe kràn ekritiw nan van pozitiv)....

Debb
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Thanks a lot!! I'll do my best!

Guemana Dallemand
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Waw waw waw c'est Debb SVP.

Johnson
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C'est magnanime, c'est assez passionat...
Je tiens a vous que vous faites partir des individualités de cette nature

Simon Decreuze
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Bienvenue sur Mondoblog Debb !

Adelaïde FOUEJEU FOUEBOU
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Beau texte