À l’ombre de la mort

Article : À l’ombre de la mort
Crédit: Paul Kli / Iwaria
28 septembre 2021

À l’ombre de la mort

Ils sont partis. Ceux dont on a dérobé les rêves et le sourire. Ceux dont on maintenait la tête dans les eaux troubles d’une piètre existence. Ils sont partis sans laisser de traces. Sans un mot ou un au revoir. De leur terre lointaine, ils crient leur désarroi,  leurs regrets et leurs peines. Mais aussi leur haine de ce sol. Haine cultivée grâce aux engrais de l’irresponsabilité, de la corruption, de cette démission et résignation de tout un peuple qui s’est vu trahi, humilié, déshumanisé. Les yeux ouverts. La bouche muselée. Les mains liées. Impuissant, comme plus d’un à cette minute précise, livrés à la merci des bandits. Des bandits législateurs. Dictateurs et tout-puissants.

Alors qu’on essaie tous de vaquer à nos occupations respectives, tant bien que mal. Avec la peur au ventre, la gorge nouée, les sens en alerte à chaque véhicule qui s’approche un peu trop dans les rues déjà étroites. Alors qu’on essaie de chercher la vie là où il n’en reste apparemment plus, d’autres, sont privés de leur liberté et se voient arracher une part d’eux-mêmes qui ne reviendra pas. Mutilés, marqués au fer rouge par une expérience traumatisante. Et ceci, s’ils en réchappent vivants, tandis qu’ils sont cassés et brisés. Morts à l’intérieur.

Ici, une vie ne compte pas. La vie ? Il n’en reste presque plus. Pas assez pour tous. Ou beaucoup trop pour trop peu. L’air vient à manquer. Les décideurs le rendent tributaire de leurs exactions. De leurs démonstrations de force et d’inhumanité. Une inhumanité créée par les circonstances amères de la survie, nourrie, attisée, pour être enfin utilisée. Par certains, contre d’autres.

Un mort et huit enlèvements en un jour (ceux connus des statistiques). Une inspiration volée. Un bain de larmes versé. Et des cœurs meurtris dans un deuil forcé et inattendu. Ce deuil qui foudroie sans prévenir. Comme si à l’improviste, l’ange de la mort venait à frapper à la porte. Et voici, une vie se retrouve à la merci d’une balle perdue, errante et aveugle. Et le sort en est jeté en quelques secondes, pas plus. Et l’amertume s’installe dans les foyers, faisant des insomniaques, des dépressifs et des fous. Pourquoi le sort a voulu que ce soit eux ? Quels jeux de hasard ou quelles combines ont fait d’eux des cibles ? Personne ne le sait. La roulette du malheur comporte de ces mystères qui défient l’entendement humain.  

Chaque famille porte ainsi son lot de meurtrissures, de colère et de haine. Leur nombre augmentant de jour en jour, tandis que les autorités ne s’en sentent pas concernés. Parce qu’elles ont mieux à faire ailleurs. Dans les caisses de l’Etat par exemple, toujours renflouées par les aides dont bénéficie le pays et qui justifient l’état lamentable dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Pourquoi s’évertuer à quoi que ce soit quand on est si confortablement installé et que la misère et la pauvreté de la population est toujours une excuse pour plus de profits?

Depuis quand ça dure, me diriez-vous. Depuis trop longtemps, évidemment. Manifestations, dénonciations, opérations, indignation sur les médias et les réseaux sociaux, mais rien ne bouge. On s’y est tous faits en fin de compte. Comme avec la corruption qui nous a maintenus dans un état de sous-développement de plus en plus exacerbé, de quoi nous enlever toute once de dignité humaine. Depuis toujours. Apaisée, la vague reprend, comme habituée à un certain rythme, à une certaine rentrée d’argent trop jouissif.

On prend des mesures, on fait preuve de prudence comme on peut. On se voue à tous les esprits et à tous les saints. Et le Bon Dieu n’a plus le temps d’écouter toutes nos doléances et supplications, alors il détourne l’oreille et nous laisse face à nos choix et en proie à nos déboires. Des vies ont déjà été ravagées, des familles endeuillées, des jeunes fauchés, des rêves détruits et des destinées gâchées. Depuis trop longtemps. Sous un ciel toujours candide et ensoleillé. Un ciel qui était censé apporter espoir et quiétude. Ce ciel bleu qui regarde toujours. Des milliers d’âmes attendent sa justice.

Déborah PEPE

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